Adieu le mâle de mer

Les sirènes

 

Elles habitaient les rivages parsemés d’écueils, qui bordaient le détroit de Sicile. Filles du fleuve Acheloüs et de la muse Calliope, elles avaient une tête de femme, les ailes et le corps d’un oiseau. Ces Nymphes marines étaient au nombre de trois, et s’appelaient : Parthénope, Leucasie, et Lygée. Leurs voix étaient si mélodieuses et leurs chants si suaves que nul mortel ne pouvait résister à leur séduction. Cependant pour être trop sûres de leur talent, il leur advint un jour une assez désagréable aventure. Ayant eu la prétention de concourir avec les Muses, elles durent reconnaître la supériorité de leurs glorieuses rivales, qui, par châtiment, leur arrachèrent des plumes et s’en firent des couronnes.

Malgré cette défaite, les Sirènes n’en étaient pas moins d’admirables musiciennes mais aussi des monstres redoutables. Les rochers, autour d’elles, étaient blanchis d’ossements humains, les squelettes d’infortunés matelots, victimes de ces cruelles enchanteresses. Quand, par une mer calme, un navire fendant l’écume des flots, avançait dans les parages, les matelots percevaient d’abord un étrange murmure ; bientôt, une musique délicieuse charmait leurs oreilles attentives, et des voix s’élevaient, venant du rivage, voix persuasives et douces, si caressantes et enjôleuses que les plus rudes marins, attendris et charmés, suspendaient le mouvement de leurs rames. On eût dit que, pris d’une fascinante ivresse, ils oubliaient tout : le but de leur voyage, leurs femmes, leurs enfants, leur patrie. Puis, insouciants du danger, ils dirigeaient la proue de leur vaisseau vers les rives d’où montaient les voix inconnues.

Mais les flots trompeurs cachaient des récifs à fleur d’eau, qui déchiraient la carène et engloutissaient dans l’abîme le navire et l’équipage. Le rire moqueur des Sirènes saluaient alors le désastre. Ou bien, si la chance favorisait les voyageurs, ils abordaient à l’île enchantée et, immobiles, perdus dans une douce rêverie, ne prenant ni breuvage ni nourriture, ils écoutaient nuit et jour les harmonieux accords des déesses aux yeux glauques, jusqu’à ce que la mort enfin s’emparât de leurs corps exsangues et décharnés.

Deux vaisseaux pourtant réussirent à franchir, indemnes, le dangereux passage : le navire Argo, grâce au fils d’Apollon, Orphée, qui entendant les sirènes, couvrit leurs voix du son mélodieux de sa lyre ; et le bateau d’Ulysse, le héros, qui avant de s’engager dans le périlleux détroit, boucha avec de la cire pétrie entre ses doigts les oreilles de ses compagnons. Quant à lui, debout sur l’emplanture, serré contre le mât, il se fit attacher solidement les bras et les épaules. « Si, charmé par les voix ensorceleuses, je vous commande de me délier, n’obéissez pas à mon ordre. ». La précaution était sage ! Car, à peine Ulysse eut-il entendu les séduisants appels, que, méprisant la mort, il ordonna, d’un froncement de sourcil, de le débarrasser de ses liens. Mais les matelots, fidèles à la consigne reçue, n’eurent garde de délivrer leur chef.