Eole

Eole et les vents

 

Eole habitait l’une des îles que l’on a depuis appelées Eoliennes, entre la Sicile et la côte d’Italie. Son royaume n’était pas grand, mais il était bien gardé par une côte de bronze contre laquelle se brisaient sans l’entamer les flots impérieux. Au centre de l’île pointait vers le ciel une roche polie. Elle abritait dans ses grottes profondes la famille royale, qui était nombreuse car Eole y vivait avec sa femme et ses douze enfants : six filles et six fils. Tout ce monde menait une vie joyeuse et passait son temps en jeux et en festins.

Eole cependant n’était pas exempt de tous soucis, car ce souverain débonnaire et pacifique régnait sur les Vents, sujets quelque peu turbulents dont il devait tempérer les ardeurs. Bien qu’il ne fut pas un despote, il les tenait par prudence enfermés sous la masse de rochers énormes. Car, s’il leur avait laissé la liberté de sortir à leur guise, ils auraient déchaîné par le monde un tel ouragan que la terre bientôt fut devenue un vaste désert et qu’ils auraient ébranlé la voûte même du ciel. Aussi est-ce avec précaution que, sur l’ordre exprès de Neptune, Eole entr’ouvrait les portes de la prison pour laisser s’échapper l’un ou l’autre de ses redoutables captifs. Leur mission accomplie, ils rentraient d’ailleurs sagement, sur un signe du maître, dans leur antre ténébreux.

Le roi assignait à chacun une tâche bien déterminée et les obligeait à suivre un itinéraire précis. Parmi tous les vents soumis à l’autorité d’Eole, il en est quatre dont le rôle était prépondérant.

Borée, le vent glacial du nord, descendait en rafales des montagnes de Thrace. Il avait donné naissance à douze poulains qui galopaient sur les champs de blé sans courber les épis et sur la mer sans y mouiller leurs sabots.

L’Eurus, impétueux, échevelé, fils favori de l’Aurore, accourait de l’Orient emporté sur les chevaux fougueux de sa mère.

Le Notus, venant du sud, brûlé par le soleil d’Afrique, soufflait sa chaude haleine sous un ciel orageux.

Le Zéphyre, père des chevaux divins qui portaient Achille, était primitivement le compagnon de Borée. Il était si rapide qu’il devançait l’Ouragan. Mais, plus tard, on lui attribua pour lieu d’origine les régions lointaines où flamboie le crépuscule. Cet enfant de Chloris, doux et léger comme une caresse, devint la brise rafraîchissante toute chargée de parfums qu’exhalent les fleurs printanières.

Tels étaient les Vents sur lesquels s’exerçait la vigilance d’Eole, dans son île, soumis aux ordres de Neptune et de Jupiter.

Pourtant il arriva parfois qu’il se prêtât à d’autres volontés. Un jour, Junon vint le prier de servir sa haine et de déchaîner les vents pour submerger la flotte des Troyens. Eole, afin d’assouvir la vengeance de l’irascible déesse, piqua du fer de sa lance le flanc de la montagne creuse. Les vents se ruèrent par cette porte et suscitèrent sur les flots une violente tempête. Des lames énormes roulaient jusqu’au rivage ; et dans la mer en furie s’ouvraient de profonds abîmes. Les navires de la flotte d’Enée tournoyaient sur la crête des vagues et disparaissaient en des gouffres sans fond. Neptune, alerté par le vacarme, leva son front tranquille au-dessus des flots et promena au loin ses regards. Irrité, il rassembla les vents vagabonds et les renvoya dans leurs retraites rocheuses en les chargeant de rappeler à leur maître que l’empire de la mer ne lui appartenait pas et qu’il devait veiller à ne pas outrepasser ses droits.